Site archéologique d'Alésia à proximité d'Alise sainte Reine
The Supermath - CC BY-SA 3.0
Auteur 
Catherine Tondu

Alésia et Bibracte, hauts-lieux d’archéologie deux fois millénaires

Théâtres de batailles de la guerre des Gaules menée par Jules César quelque cinquante ans avant J.-C., Alésia et Bibracte passionnent depuis bien longtemps les archéologues de l’université de Franche-Comté et d’ailleurs. Les scientifiques défendent Alésia des polémiques qui l’assaillent malgré un dossier inattaquable, quand Bibracte continue à livrer des secrets enfouis sous la terre morvandelle depuis deux mille ans…

Alésia, un champ de bataille semant la confusion jusqu’au  XXIe siècle

Si Jules César avait pu imaginer combien ses descriptions topographiques et paysagères allaient susciter de polémiques deux mille ans plus tard, il se serait peut-être un peu plus appliqué pour écrire ses Commentaires sur la guerre des Gaules. Mais voilà, Jules César n’était pas arpenteur et encore moins cartographe, et c’est en grand stratège qu’il décrit ses victoires et les avancées de son armée sur le sol gaulois : au service de son image et de sa gloire devant Rome. Du coup, la géographie des collines et plaines d’Alésia n’étant pas le nerf de la guerre, le lieu décrit comme celui où Vercingétorix déposa les armes lors d’une sombre page de l’histoire de Gaule peut correspondre à des dizaines de sites jalonnant le périple du général romain dans le centre-est du territoire. Lieux dont ne manquent pas de se réclamer autant de localités en marge d’Alise-Sainte-Reine en Côte d’Or, créant la polémique autour de ce site, pourtant déclaré officiel, de la bataille d’Alésia.

La guerre dure depuis plus de 150 ans, et c’est une guerre psychologique. Car les preuves archéologiques accréditent une lecture rigoureuse du texte de César : Alésia, c’est bien Alise-Sainte-Reine, le fait est largement admis par la communauté scientifique, notamment depuis que des recherches entreprises de 1990 à 1997 ont confronté les découvertes faites sous Napoléon III aux techniques scientifiques les plus récentes. Philippe Barral, spécialiste de protohistoire à l’université de Franche-Comté, était responsable de fouilles lors de cette expédition. « Les recherches menées dans les années 1860 avaient pour contexte la naissance de l’archéologie moderne : c’était la première fois qu’on recourait à des outils scientifiques. Hormis quelques erreurs portant sur des fossés et du mobilier sur lesquels il était légitime de se tromper compte tenu des moyens de l’époque, les conclusions avancées sous Napoléon III étaient tout à fait fondées. »

In + acc désigne le mouvement

Les photos aériennes confirment les tracés, les spécialistes attestent de façon formelle que les fragments de tentes en cuir, les pilums, les traits de catapulte et les clous des caligae, les chaussures des légionnaires, datent bien de la guerre des Gaules. Sur deux balles de fronde provenant d’un des camps d’Alise est même gravé le nom T. Labi, pour Titus Labienus, l’un des bras droits de César. « Ces éléments sont par ailleurs comparables à ceux trouvés sur d’autres lieux de bataille comme Gergovie ou Uxellodunum », précise Philippe Barral.

Même les Commentaires parlent en faveur d’Alise-Sainte-Reine. César y emploie un très explicite in + acc latin pour signifier qu’il se dirige vers le territoire des Séquanes depuis celui des Lingons, ce qui place Alise sur sa route. Bien plus tard, Dion Cassius donne une autre version de cet épisode, indiquant que César se trouve déjà chez les Séquanes lorsque Vercingétorix l’intercepte et qu’il fait alors route en direction de la Province, vers l’actuel département du Jura, là où se situent pour l’essentiel les autres sites postulants. C’est sur cette contradiction entre deux textes que repose toute la polémique sur le trajet suivi par César, et donc sur la localisation d’Alésia. « Paradoxalement, Alise / Alésia est le dossier archéologiquement le plus étoffé de toutes les grandes batailles de la guerre des Gaules. La controverse stérile dont elle fait l’objet finit par nuire aux démarches scientifiques de qualité et pèse sur les choix à privilégier pour les explorations archéologiques futures », conclut avec regret Philippe Barral.

Bibracte, une place forte animée d’une vie brève mais intense

À une centaine de kilomètres d’Alésia à vol d’oiseau, à 860 mètres d’altitude est perché Bibracte, un oppidum de première importance au Ier siècle avant J.-C. Bibracte a également vu une page de la guerre des Gaules s’écrire sur ses flancs en -58, au sens propre aussi, puisque César s’y installe pendant tout l’hiver -51/-52 et y poursuit la rédaction de son fameux opus. Bibracte est aujourd’hui l’un des plus vastes chantiers de fouilles programmées en France, où se rencontrent des chercheurs venus de tous les pays européens afin de mieux comprendre les processus d’urbanisation des Gaules. Fondé dans les années 1980, ce centre européen est doté d’un grand bâtiment de recherche, d’un lieu de conservation et d’étude du mobilier, d’une bibliothèque spécialisée ouverte au public et d’un musée de grande qualité patrimoniale et pédagogique. Des centaines de chercheurs et étudiants de nombreuses universités européennes y trouvent matière à découverte et à comparaison avec des sites similaires dans leur propre pays. Bibracte est en effet un exemple d’agglomération gauloise caractéristique, dont le modèle se retrouve dans toute l’Europe jusqu’aux confins de l’Ukraine.

Bibracte est le témoignage d’une période très courte, une sorte de charnière d’une cinquantaine d’années glissée entre les périodes gauloise et gallo-romaine. Ce « gallo-romain précoce » correspond à la phase de romanisation définitive des peuples gaulois. Les travaux montrent que cette assimilation s’est produite d’une façon plus pacifique qu’on l’imagine, sous forme d’acculturation, et bien avant la conquête de la Gaule par César. « En moins de cinquante ans, les monuments publics de Bibracte ont connu quatre reconstructions qui allaient toutes dans le sens d’une romanisation plus affirmée », raconte Pierre Nouvel, archéologue à l’université de Franche-Comté.

Affirmer son appartenance au monde romain

Les murs en pierre de facture romaine remplacent peu à peu les palissades gauloises en bois, les demeures aristocratiques deviennent les copies conformes de grandes maisons urbaines comme celles de Pompéi, la vaisselle même témoigne d’une évolution rapide des modes.

Dans ce contexte, la découverte récente et inédite des ruines d’un bâtiment public de vastes proportions, construit selon des méthodes typiquement gauloises, est un événement. Les vestiges révèlent un quadriportique de quarante mètres de côté, étonnamment bâti sur un murus gallicus : ce mur fait de pierres et de poutres en bois, elles-mêmes fichées dans la pierre par des tiges en fer, était habituellement réservé aux constructions militaires. « Nous savons avec certitude que ce bâtiment, qui représentait un travail colossal pour la collectivité, était réalisé au moment de la guerre des Gaules », raconte Pierre Nouvel, qui pour la petite histoire ajoute que « Jules César est forcément passé dans ce bâtiment à l’époque où il a séjourné à Bibracte ».

Le changement d’ère annonce la fin de l’oppidum. Pour des raisons d’accessibilité géographique et pour vivre dans une ville romaine digne de ce nom, les habitants abandonnent Bibracte, qui n’aura vécu qu’un siècle, pour construire Augustodunum, l’actuelle Autun, où subsistent de formidables traces de ce passé. Mais ceci est une autre histoire…

Article paru dans le numéro 267 de novembre-décembre du journal en Direct.

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